SAINT JEAN CASSIEN

 

SA VIE

La date de sa naissance est diversement rapportée entre 350 et 360. Suivant Gennadius, il serait né en Scythie ( natione Scytha ), mais la confusion pourrait provenir d'un amalgame entre Scytha et le désert de Skété ( heremus Scitii ), là où il séjournera plus tard. De l'avis de beaucoup, il pourrait être né en Provence. Même incertitude et mêmes différences sur l'époque de sa mort. Suivant la légende de saint Prosper, il vivait encore en 433 ; certains placent sa mort en 434 ou 435 ; d'autres, entre 440 et 458. Il a peut-être vécu jusqu'à quatre-vingt-dix-sept ans.

D'une famille certainement riche, de bonne éducation, sa première jeunesse se passa dans le monastère de Bethléhem. Entre 385 et 390, il obtint la permission d'en sortir pendant sept années, pour aller avec Germain, son ami, de quelques années son aîné, visiter les lieux saints de la Palestine et les anachorètes de la Thébaïde. Après un séjour de sept ans dans ces déserts, principalement à Skété, ils revinrent à Bethléhem, qu'ils quittèrent encore pour un deuxième voyage à Skété.

En 403, on trouve Cassien à Constantinople. Il y reçut les enseignements de saint Jean Chrysostome, qui l'ordonna diacre et lui donna un poste de confiance dans sa cathédrale, la charge des trésors. En 403, il fut chargé par une partie du clergé de Constantinople d'aller à Rome, pour solliciter l'intercession d'Innocent Ier en faveur de Chrysostome, l'évêque persécuté et mis en exil. Cassien parait s'être fixé dès lors en Occident. En 414 ou 415, il fonda à Marseille deux monastères, l'un pour les hommes (Saint-Victor), l'autre pour les femmes, (Saint-Sauveur).

Selon la tradition, il aurait demandé à l'évêque de Marseille, Proculus, l'autorisation de fonder un monastère près de la grotte où reposaient les reliques de saint Lazare et de saint Victor.

Il aurait même fait construire près de cette grotte, deux églises, l'une dédiée à saint Pierre et saint Paul, l'autre à saint Jean-Baptiste. On assure que cinq mille moines y vivaient sous sa discipline.

SON OEUVRE

Les ouvrages qui lui appartiennent incontestablement sont :

- un traité en douze livres, "De Institutis coenobiorum et de octo principalium vitiorum remediis ", écrit vers 420, à la demande de Castor, évêque d'Apt.

Comme son titre l'indique, le traité De Institutis concerne l'institution monastique. C'est un exposé de préceptes sur le costume, la nourriture, les travaux et les exercices religieux des moines. Les quatre premiers livres examinent les règles dirigeant la vie monastique, illustrée par des exemples de l'observation personnelle de l'auteur en Egypte et la Palestine; les huit livres restants sont consacrés aux huit obstacles principaux pour la perfection, rencontrés par les moines : gloutonnerie, impureté, avidité, colère, abattement, ennui (accidia), vanité et fierté. "

- vingt-quatre conférences, " Collationes patrum in Scithico eremo commorantium".

Les Collationes relatent les souvenirs du séjour de Cassien en Egypte et de ses entretiens avec les pères du désert, sur la perfection ascétique et sur les moyens d'y parvenir. Dans le premier de ces ouvrages, Cassien professe que le genre de vie des anachorètes est le seul qui permette de vaincre les vices. Du second, il semble résulter que, comme beaucoup de ses contemporains, il considérait l'état des solitaires comme plus saint encore que celui des cénobites.

Il a été composé en trois parties. Le premier volet (des Livres I-X) a été adressé à l'Évêque Léonce de Fréjus et un moine (ensuite l'évêque) nommé Helladius; le second (Livres XI-XVII), à Honorat d'Arles et Euchère de Lyon; le troisième (Livres XVIII-XXIV), "aux frères saints" Jovinian, Minervius, Leontius et Théodore. Ces deux travaux, particulièrement le dernier, ont été tenus en grande estime par ses contemporains et par plusieurs fondateurs postérieurs d'ordres religieux.

Saint Benoît a appelé les Collationes un miroir monastique ( speculum monasticum ) et avait ordonné de les lire quotidiennement. Saint Thomas d'Aquin en faisait sa lecture favorite. Les fondateurs des ordres des chartreux et des jésuites les ont tenus pareillement en grande estime. Les jansénistes eux-mêmes : Arnauld d'Andilly a emprunté aux Collationes la plupart des matériaux de son livre sur la Vie des pères du désert. Cependant, la doctrine exposée dans la troisième et la treizième partie des Collationes avait été vivement attaquée par saint Augustin et Prosper d'Aquitaine, car elle contient l'énonciation du semipélagianisme.

Au Moyen Âge, on avait l'habitude de lire les Collationes pendant le repas du soir, qui finit par s'appeler... collation !

- " De incarnatione Domini contra Nestorium ", contre Nestorius, traité composé vers 429, à la demande de Léon Ier, alors diacre de l'église de Rome. Il semble avoir été écrit à la hâte et n'a pas, par conséquent, autant de valeur que les autres travaux de son auteur. Une grande partie consiste en preuves tirées des Ecritures saintes, de la divinité du Christ et de la considération de Marie comme Mère de Dieu. L'auteur dénonce au passage le pélagianisme, qu'il décrit comme la source d'une nouvelle hérésie, qu'il considère comme incompatible avec la doctrine de la Trinité.

D'autres oeuvres lui ont été attribuées, mais avec peu de probabilités : "De Spirituali medicina monachi", "Theologica confessio", "De Contictu virtulumet vitiorum".

Ses écrits ont exercé une action très puissante sur le développement du régime monastique en Gaule. Parce qu'il a eu beaucoup de disciples, et qu'un certain nombre fondèrent des abbayes, Cassien est souvent appelé l'organisateur du monachisme en Occident

On signale aussi dans les oeuvres de Cassien des indices d'origénisme, à propos de la création des anges et de la nature de l'âme. Le concile romain, sous Gélase, mit tous ces livres au rang des apocryphes, les considérant comme suspects, par le décret "de recipiendis et non recipiendis libris" (début VIe siècle).

Jamais officiellement canonisé, Grégoire le Grand le considérait comme un saint. De même, quelques églises ont honoré Cassien comme saint Urbain V (1362-1370), qui avait été un abbé de Saint-Victor, avait les mots Saint Cassien, gravé sur la cassette d'argent qui a contenu sa tête.

À Marseille sa fête est célébrée, avec une octave, le 23 juillet, et son nom figure parmi les saints du Calendrier grec.

 

Celui qui regarde en arrière est inutilisable pour le Royaume

TEXTES DE SAINT JEAN CASSIEN

Nous vous proposons un large extrait de la "PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L'ABBÉ NESTEROS" intitulée : "De la science spirituelle"

 

 

CHAPITRE 9

 

Qu'il faut commencer par la science active, pour grandir jusqu'à la spirituelle.

 

Que si vous avez conçu le souci de parvenir à la lumière de la science spirituelle, non par le mouvement de la vaine jactance, mais par l'amour de la pureté, enflammez vous premièrement du désir de cette béatitude dont il est dit : «Heureux les coeurs purs, parce qu'ils verront Dieu, » (Mt 5,8) afin que vous puissiez atteindre aussi à celle dont l'ange parle à Daniel: «Ceux qui auront été savants brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en instruisent beaucoup à pratiquer la justice luiront comme les étoiles dans les éternités sans fin, » (Dan 15,3-5) et sur laquelle on lit encore chez un autre prophète : «Allumez en vous la lumière de la science, tandis qu'il en est temps. » (Os 10,12).

Je sens que vous avez le zèle de la lecture. Conservez-le; et de toute votre ardeur, hâtez-vous de posséder au plus tôt la plénitude de la science pratique, c'est-à-dire morale. Sans elle, la pureté de la contemplation, dont nous parlions naguère, demeure hors de nos prises. Ceux-là seulement qui sont devenus parfaits, non certes par l'effet de la parole de leurs maîtres, mais par la vertu de leurs propres actions, l'obtiennent, pour ainsi dire, en récompense, après l'avoir payée de bien des oeuvres et des labeurs. Ce n'est pas dans la méditation de la loi qu'ils acquièrent l'intelligence, mais comme le fruit de leurs travaux. Ils chantent avec le psalmiste : «Par vos commandements m'est venue l'intelligence. » (Ps 118,104). Ils s'écrient, pleins de confiance, après avoir éliminé, toute passion : «Je chanterai des psaumes et j'aurai l'intelligence dans le chemin de l'innocence. » (Ps 100,1-2). Car celui-là comprend, tandis qu'il psalmodie, les paroles qu'il chante, qui marche dans les voies de l'innocence par le privilège d'un coeur pur.

Vous voulez élever dans votre coeur le sacré tabernacle de la science spirituelle : purifiez-vous de la souillure des vices, dépouillez tout souci du siècle présent. Il est impossible que l'âme occupée, même légèrement, des soins de ce monde, mérite le don de la science, ou soit féconde en pensées spirituelles, ou retienne avec fermeté les saintes lectures qu'elle a faites.

Prenez garde avant tout et vous particulièrement, Jean, que votre jeunesse engage plus encore à observer ce que je vais dire de commander à votre bouche le plus complet silence, si vous ne voulez pas qu'un vain élèvement rendent inutiles et votre ardeur à la lecture et vos labeurs pleins de saints désirs. C'est ici le premier pas dans la science pratique : recevoir les enseignements et les décisions de tous vos anciens d'une âme attentive, mais la bouche en quelque sorte muette; les déposer avec soin dans votre coeur, et vous empresser à les accomplir, plutôt qu'à faire le docteur. Au lieu des prétentions funestes de la vaine gloire, vous verrez se multiplier les fruits de la science spirituelle.

Dans les conférences avec les anciens, ne prenez point la liberté de dire mot, si ce n'est pour demander ce qu'il vous serait nuisible d'ignorer ou ce qu'il vous est nécessaire de connaître. Il en est qui, possédés de l'amour de la vaine gloire, ne feignent d'interroger que pour montrer leur savoir. Mais il ne se peut pas que celui qui s'applique à la lecture dans le dessein d'acquérir la gloire humaine, mérite jamais le don de la vraie science. Esclave de cette passion, comment ne porterait-on pas également les chaînes des autres vices, et particulièrement de la superbe ? Mais ainsi terrassé dans le combat de la science pratique et morale, on n'obtiendra point la science spirituelle, qui lui doit son origine.

Soyez donc en tout «prompt à écouter, lent à parler, » (Jac 1,19) de peur que la remarque de Salomon ne se vérifie à votre sujet. «Si tu vois un homme prompt en paroles, sache qu'il y a plus d'espérance dans l'insensé qu'en lui. » (Pro 28,20). N'ayez point la présomption d'enseigner rien à personne, que vous ne l'ayez d'abord pratiqué vous-même. C'est l'ordre que notre Seigneur nous apprend à suivre par son exemple : «Il faisait, puis il enseignait. » (Ac 1,1). Prenez garde, en vous précipitant à enseigner avant d'avoir pratiqué, d'être mis au nombre de ceux dont le Seigneur déclare à ses disciples, dans l'Évangile : «Observez et faites ce qu'ils disent, mais ne faites pas ce qu'ils font. Ils lient des fardeaux pesants et impossibles à porter, et les mettent sur les épaules des hommes; mais ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt. » (Mt 23,3-4). «Celui qui viole l'un des moindres commandements et se mêle d'enseigner les hommes, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux. » (Mt 5,19). Mais alors, que serait-il fait de celui qui ose enseigner les préceptes nombreux et graves qu'il néglige ? Ce n'est plus assez de dire qu'il est le dernier dans le royaume des cieux; il gagne la première place au supplice de la géhenne.

Ne vous laissez pas entraîner à donner des leçons aux autres par l'exemple de quelques-uns. Ils ont acquis de l'habileté à discourir, une parole aisée qui semble couler de source; et parce qu'ils savent disserter élégamment et avec abondance sur tout sujet qu'il leur plaît, ils passent pour posséder la science spirituelle aux yeux de ceux qui n'ont pas appris à en discerner le véritable caractère. Mais c'est tout autre chose, d'avoir quelque facilité de parole et de l'éclat dans le discours, ou d'entrer jusqu'au coeur et à la moelle des paroles célestes, et d'en contempler du regard très pur de l'âme les mystères profonds et cachés. Ceci, la science humaine ne le donne pas, ni la culture du siècle, mais la seule pureté de l'âme, par l'illumination du saint Esprit.

 

CHAPITRE 10

 

L'école de la science véritable.

 

Oui, si vous voulez parvenir à la science véritable des Écritures, fondez-vous d'abord inébranlablement dans l'humilité du coeur. C'est elle qui vous conduira, non à la science qui enfle, mais à celle qui illumine, par la consommation de la charité. Il est impossible encore une fois que l'âme qui n'est pas pure obtienne le don de la science spirituelle.

Évitez donc avec le plus grand soin que votre zèle de la lecture, au lieu de vous procurer la lumière de la science, et la gloire sans fin promise à l'homme qu'illuminent les clartés de la doctrine, ne vous soit une cause de perdition par les vaines prétentions qu'il pourrait éveiller chez vous.

Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l'arche de l'alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c'est-à-dire l'éternelle fermeté de l'un et l'autre Testament;---- l'urne d'or, symbole d'une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l'éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d'Aaron, c'est-à-dire l'étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c'est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c'est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins.

Votre âme, ainsi devenue, par son inséparable amour de la pureté, l'arche du divin Testament et le royaume sacerdotal, absorbée en quelque sorte dans les connaissances spirituelles, accomplira le commandement fait au pontife par le Législateur : «Il ne sortira pas du sanctuaire, de peur qu'il ne profane le sanctuaire de Dieu, » (Lev 21,12) c'est-à-dire son coeur, où le Seigneur promet de faire sa constante demeure : «J'habiterai parmi eux, et je marcherai au milieu d'eux. » (2 Cor 6,16).

Ayons le zèle d'apprendre par coeur la suite des Écritures, et de les repasser sans cesse dans notre mémoire. Cette méditation continuelle nous procurera un double fruit. D'abord, tandis que l'attention est occupée à lire et étudier, les pensées mauvaises n'ont pas le moyen de rendre l'âme captive dans leurs filets. Puis, il se trouve qu'après avoir maintes fois parcouru certains passages, en travaillant à les apprendre de mémoire, nous n'avons pu, sur l'heure, les comprendre, parce que notre esprit manquait de la liberté nécessaire. Mais, lorsqu'ensuite, loin de l'enchantement des occupations diverses et des objets qui remplissent nos yeux, nous les repassons en silence, surtout pendant les nuits, ils nous apparaissent, dans une plus grande lumière. Il est ainsi des sens très profonds, dont nous n'avions pas le plus léger soupçon durant la veille; et c'est quand nous reposons, plongés, pour ainsi dire, dans la léthargie d'un lourd sommeil, que l'intelligence nous en est révélée.

 

CHAPITRE 11

 

Des sens multiples des divines Écritures.

 

À mesure que, par cette étude, notre esprit se renouvelle, les Écritures commencent aussi à changer de face. Une compréhension plus mystérieuse nous en est donnée, dont la beauté grandit avec nos progrès. Elles s'accommodent, en effet, à la capacité de l'humaine intelligence, terrestres pour l'homme charnel, divines pour le spirituel; et tels qui les voyaient jadis comme enveloppées d'épais nuages, demeurent incapables d'en sonder la profondeur ou d'en soutenir l'éclat.

Un exemple rendra plus manifeste la vérité que nous essayons d'établir. Qu'il me suffise de citer un seul commandement de la loi. Par lui, je vais prouver que tous les célestes préceptes, sans exception, s'étendent au genre humain dans son entier, mais à chacun selon l'état où il est parvenu. Il est écrit dans la Loi : «Vous ne forniquerez point. » (Ex 20,14). L'homme encore prisonnier des vices honteux de la chair, gardera utilement ce précepte, en le prenant simplement au sens littéral.

Celui, au contraire, qui s'est dégagé de cette boue et de ces passions impures, doit l'observer spirituellement. C'est-à-dire qu'il se tiendra éloigné, non seulement des cérémonies idolâtres, mais de toute superstition paoeenne, des augures, des présages, de l'observation des signes, des jours et des temps; c'est-à-dire encore, sans aller si loin, qu'il ne s'engagera pas dans ces conjectures que l'on tire de certaines paroles ou de certains noms, et qui corrompent la simplicité de notre foi.

Telle est l'infidélité dont il est dit que Jérusalem s'est souillée, lorsqu'elle s'est déshonorée «sur toute colline élevée et sous tout arbre vert ». (Jer 3,6). C'est de quoi le Seigneur la reprend par la bouche de son prophète: «Qu'ils viennent et qu'ils te sauvent, les augures du ciel qui contemplaient les astres et comptaient les mois, afin de t'annoncer ce qui doit t'advenir ! » (Is 47,13). Telle est aussi la faute dont il accuse ailleurs son peuple : «Un esprit d'infidélité les a égarés, et ils ont été infidèles à leur Dieu. » (Os 4,12).

Libéré de cette double impureté, en voici une troisième à éviter. Elle consiste dans les superstitions de la Loi et du Judaoesme, que l'Apôtre a en vue, lorsqu'il dit : «Nous observez les mois, les temps et les années; », (Gal 4,10) et de nouveau : «On vous prescrit : Ne prends pas ! Ne goûte pas ! Ne touche pas ! » (Col 2,21). Il n'est pas douteux, en effet, que ces paroles ne visent les superstitions de la Loi. Or, y tomber, c'est se rendre infidèle au Christ. Et l'on ne mérite plus d'entendre de l'Apôtre : «Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure; » (2 Cor 11,02) mais sa voix nous adresse ce reproche, qui suit immédiatement : «Je crains que, comme le serpent séduisit Éve par son astuce, vos pensées ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ Jésus. » (2 Cor 11,3).

L'on a su encore échapper à la souillure de cette infidélité : il en est maintenant une quatrième; et c'est celle qui trahit sa foi, pour embrasser une doctrine hérétique. Le bienheureux Apôtre en parle dans ces termes : «Je sais qu'après mon départ, il s'introduira parmi vous des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et que même du milieu de vous il s'élèvera des hommes qui enseigneront des doctrines perverses, pour entraîner les disciples après eux. » (Ac 20,29-30).

Si l'on a pu éviter cette faute également, que l'on prenne garde de tomber dans le vice de l'infidélité par un péché plus subtil, qui consiste dans la divagation de l'esprit. Je ne dis pas seulement toute pensée honteuse, mais toute pensée inutile ou qui s'éloigne si peu que ce soit de Dieu, est, aux yeux du parfait, une souillure, une infidélité.

 

CHAPITRE 12

 

Question : Comment parvenir à oublier les poèmes du siècle ?

 

Cependant, un vif sentiment de componction me remuait intérieurement. Il se traduisit bientôt par de profonds soupirs : «Toutes les pensées, dis-je, que vous avez développées avec tant d'éloquence, ajoutent encore au découragement dont j'avais à souffrir. Outre les captivités de l'âme qui sont communes à tous, et les distractions qui battent du dehors les esprits encore faibles, je trouve un obstacle particulier à mon salut dans la médiocre connaissance que je parais avoir de la littérature. Zèle du pédagogue, ou application de l'élève, je m'en suis imprégné jusqu'au fond. Avec un esprit de la sorte infecté des oeuvres des poètes, les fables frivoles, les histoires grossières dont je fus imbu dès ma petite enfance et mes premiers débuts dans les études, m'occupent même à l'heure de la prière. Je psalmodie, on j'implore le pardon de mes péchés; et voici que le souvenir effronté des poèmes jadis appris me traverse l'esprit, l'image des héros et de leurs combats semble flotter devant mes yeux. Tandis que ces fantômes se jouent de moi, mon âme n'est plus libre, d'aspirer à la contemplation des choses célestes. Cependant, les larmes que je répands chaque jour ne réussissent pas à les chasser.

 

CHAPITRE 13

 

Réponse : Comment nous pouvons débarrasser notre mémoire de l'espèce de fard qui la recouvre.

NESTOROS.----- Du mal lui-même qui vous fait surtout désespérer de la pureté, peut sortir un prompt et efficace remède. Il suffit que vous apportiez à lire et méditer les Écritures spirituelles, la même diligence et le même zèle que vous dites avoir eus pour les études séculières.Votre esprit sera nécessairement occupé de ces poèmes, aussi longtemps qu'il n'aura pas conquis, par une égale application et une assiduité toute pareille, d'autres objets qu'il repasse en lui-même, et qu'au lieu de ces pensées infructueuses et terrestres, il n'en enfantera point de spirituelles et de divines. Mais, s'il réussit à se pénétrer profondément de ces idées nouvelles, à en faire sa vie, les premières pourront être expulsées peu à peu ou tout à fait abolies. Il ne saurait demeurer vide. S'il ne s'occupe des choses de Dieu, il reste fatalement engagé dans ce qu'il a précédemment appris; tant qu'il n'a pas où revenir à tout moment et exercer son infatigable activité, une pente irrésistible l'entraîne vers les sujets dont il fut imbu dès la première enfance, et il roule incessamment les pensées qu'un long commerce et une méditation assidue lui ont rendues intimes et familières. Je vous comprends. Vous voulez que la science spirituelle prenne en vous force et consistance à jamais. Votre désir est de n'en plus jouir seulement pour un temps, tels ceux qui ne la possèdent point par l'étude, et ne font qu'en ressentir quelque légère influence par le rapport des autres, ou en percevoir, si l'on peut ainsi parler, un vague parfum répandu dans l'air; mais qu'elle soit à demeure dans votre esprit, ne faisant qu'un avec lui, familière comme une chose que le regard a fouillée de toutes parts et que les doigts ont palpée.

Observez donc religieusement ce que je vais dire.

Il arrivera par hasard que vous sachiez très bien ce que vous entendez en conférence. Ne prenez point prétexte de ce qu'il vous est connu, pour faire une moue dédaigneuse; mais confiez-le à votre coeur avec cette avidité que nous devons toujours avoir, soit à prêter l'oreille aux désirables paroles du salut, soit à les proférer nous-mêmes. Si fréquemment que les vérités saintes nous soient exposées, jamais une âme qui a soif de la vraie science n'en éprouvera de satiété ni d'aversion. Elles lui seront nouvelles chaque jour, chaque jour également désirées. Plus souvent elle s'en sera nourrie, plus elle se montrera avide de les entendre ou d'en parler. Leur répétition confirmera la connaissance qu'elle en a, loin que les conférences multipliées lui donnent un soupçon de dégoût. C'est l'indice évident d'une âme tiède et superbe, de recevoir avec ennui et indifférence la parole du salut, quand même il y aurait de l'excès dans l'assiduité qu'on met à la lui faire entendre : «Celui qui est rassasié foule aux pieds le rayon de miel; mais à celui qui est dans le besoin, cela même qui est amer parait doux. » (Pro 27,7).

Recueillie avec empressement, soigneusement déposée dans les retraites de l'âme, munie du cachet du silence, il en sera de la doctrine comme de vins au parfum suave, qui réjouissent le coeur de l'homme. Ainsi que la vieillesse fait le vin, la sagesse, qui tient lieu à l'homme de cheveux blancs, et la longanimité de la patience la mûriront. Lorsqu'ensuite elle paraîtra sur vos lèvres, ce sera en exhalant des flots de senteurs embaumées. Il en sera d'elle encore comme d'une fontaine sans cesse jaillissante. Ses eaux bienfaisantes, multipliées par l'expérience et la pratique des vertus, iront se débordant; et du fond de votre coeur, d'où elle sourdra comme d'un secret abîme, elle se répandra en fleuves intarissables. Il arrivera de vous ce qui est dit dans les Proverbes à l'homme pour qui toutes ces choses sont devenues des réalités : «Bois l'eau de tes citernes et de la source de tes puits. Que les eaux de ta source débordent, que tes eaux se répandent sur tes places ! » (Pro 5,15-16).Selon la parole du prophète Isaoee, «vous serez comme un jardin bien arrosé, comme une source d'eau qui jamais ne tarit. Les lieux déserts depuis des siècles seront par vous bâtis; vous relèverez les fondements posés de génération en génération; et l'on dira de vous : c'est le réparateur des haies, le restaurateur de la sûreté des chemins. » (Is 58,11-12). La béatitude promise par le même prophète vous sera donnée en partage : «Le Seigneur ne fera plus s'éloigner de toi ton maître, et tes yeux verront ton précepteur. Tes oreilles entendront la voix de celui qui t'avertira, criant derrière toi : Voici le chemin; marchez-y; ne vous en détournez ni à droite ni à gauche. » Et vous verrez cette merveille, que non seulement toute la direction de votre coeur et son étude, mais les écarts mêmes de vos pensées et leur vagabondage incertain ne seront plus qu'une sainte et incessante méditation de la loi divine.

 

CHAPITRE 14

 

L'âme qui n'est point pure, est incapable de donner comme de recevoir la science spirituelle.

Mais, nous l'avons dit, il est impossible de connaître ou d'enseigner ces choses, à moins d'en avoir l'expérience. Celui qui n'est pas capable même de les comprendre, comment le serait-il de les communiquer aux autres ? Que s'il a cependant la présomption d'en parler, son discours restera sans aucun doute inefficace et vain. Ses paroles frapperont l'oreille de ses auditeurs; elles ne pénétreront pas jusqu'à leur âme : parce que, triste fruit de la négligence et d'une stérile vanité, elles ne sortent pas du trésor d'une bonne conscience, mais ont leur principe dans la vaine présomption de la jactance.

Non, celui dont l'âme n'est point pure ne saurait acquérir la science spirituelle, quelque peine qu'il se donne, si assidu qu'il puisse être à la lecture. L'on' ne confie point à un vase fétide et corrompu un parfum de qualité, un miel excellent, une liqueur précieuse. Le vase pénétré de senteurs repoussantes, infectera plus facilement le parfum le plus odorant, qu'il n'en recevra lui-même quelque suavité ou agrément; car ce qui est pur se corrompt plus vite que ce qui est corrompu ne se purifie. Ainsi le vase de notre coeur. S'il n'est d'abord entièrement purifié de la contagion fétide des vices, il ne méritera pas de recevoir ce parfum de bénédiction dont parle le prophète : «Comme l'huile précieuse qui, répandue sur la tête, coule sur la barbe d'Aaron et descend sur le bord de son vêtement; » (Ps 132,2) non plus qu'il ne gardera sans souillure la science spirituelle ou les paroles de l'Écriture, «qui sont plus douces que le miel et que le rayon rempli de miel ». (Ps 18,11). «Car, quelle communication y a-t-il de la justice avec l'iniquité ? Quelle société de la lumière avec les ténèbres? Quel accord entre le Christ et Bélial ? » (2 Cor 6,14-15).

 

CHAPITRE 15

 

Objection : Beaucoup n'ont pas le coeur pur et possèdent la science, tandis que nombre de saints ne la possèdent point.

GERMAIN. ----- Votre assertion ne nous semble pas fondée sur la vérité ni appuyée de raisons plausibles. Tous ceux qui refusent la foi du Christ, ou la corrompent par des opinions mensongères et impies, manifestement n'ont pas le coeur pur. Comment donc se fait-il que tant de juifs, d'hérétiques ou même de catholiques, qui sont en proie à des vices divers, parviennent à une connaissance parfaite des Écritures et peuvent se glorifier d'une science spirituelle éminente; tandis que l'on voit une multitude incalculable de saints qui ont purifié leur coeur de toute souillure de péché, et dont néanmoins la religion, contente de la simplicité de la foi, ignore les secrets d'une science plus profonde ? Et comment, après cela, votre opinion, qui attribue la science spirituelle à la seule pureté du coeur, pourra-t-elle tenir ?

 

CHAPITRE 16

 

Réponse Les méchants ne peuvent avoir la véritable science.

 

NESTEROS. &emdash; Ce n'est pas examiner comme il convient la portée d'une doctrine, que de ne pas prendre le soin de peser tous les termes qui l'expriment. Nous avons dit déjà que cette sorte de gens n'ont rien qu'une certaine habileté à parler, avec de l'agrément dans le discours; mais qu'ils sont incapables d'entrer au coeur de l'Écriture et dans le mystère des sens spirituels. La science véritable ne se trouve que chez ceux qui honorent vraiment Dieu. Ce peuple ne l'a certes point, à qui il est dit : «Écoute, peuple insensé, qui n'as point de coeur; vous qui avez des yeux et ne voyez point, des oreilles et n'entendez point; » (Jer 5,21) et de nouveau : «Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai à mon tour, et ne souffrirai pas que tu remplisses les fonctions de mon sacerdoce. » (Os 4,6). Il est écrit que «tous les trésors de la science sont cachés » (Col 2,3) dans le Christ. Dès lors, comment croire que celui qui dédaigne de trouver le Christ, ou qui, l'ayant trouvé, le blasphème d'une bouche sacrilège, comment croire que celui qui déshonore la foi catholique par des oeuvres d'impureté, aient atteint à la vraie science ? «L'Esprit de Dieu, en effet, hait l'astuce et n'habite point dans un corps esclave du péché. » (Sag 1,5).

Nul autre moyen de parvenir à la science spirituelle, que de se conformer à l'ordre suivant, si heureusement exprimé par l'un des prophètes : «Semez pour vous en vue de la justice, moissonnez l'espérance de la vie, allumez en vous la lumière de la science. » (Os 10,12). Premièrement, il faut semer en vue de la justice, c'est-à-dire propager en quelque sorte notre perfection active par les oeuvres de la justice; nous devons ensuite moissonner l'espérance de la vie, c'est-à-dire recueillir les fruits des vertus spirituelles, en expulsant les vices de la chair. Par cette méthode, nous pourrons allumer en nous la lumière de la science.

Tel est aussi l'enseignement du psalmiste: «Heureux, dit-il, ceux qui sont sans tâche dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Heureux ceux qui scrutent ses témoignages. » (Ps 118,1-2). Il n'a pas commencé, par dire : «Heureux ceux qui scrutent ses témoignages, » pour ajouter ensuite : «Heureux ceux qui sont sans tâche dans leur voie. » Mais il dit en premier lieu : «Heureux ceux qui sont sans tâche dans leur voie; » et par là, il montre évidemment que l'on ne peut parvenir à sonder le fond des divins témoignages, qu'en marchant d'abord sans tâche dans la voie du Christ par la vie active.

Les hommes dont vous parlez, ne possèdent donc pas la science qui ne peut échoir en partage au coeur impur, mais une autre, qui n'en mérite pas le nom et de laquelle le bienheureux Apôtre dit : «Ô Timothée, garde le dépôt, en évitant les nouveautés profanes dans tes discours et tout ce qu'oppose une science qui n'en mérite pas le nom. » (1 Tim 6,20).

Sur ceux qui paraissent avoir quelque semblant de science, ou qui, tout en s'adonnant avec ardeur à lire les volumes sacrés et à les apprendre de mémoire, ne quittent point les vices de la chair, les Proverbes ont cette expression fort heureuse : «Comme d'un anneau d'or au nez d'un pourceau, ainsi en va-t-il de la beauté dans une femme de mauvaise vie. » (Pro 11,22). Car quel avantage pour l'homme de posséder les joyaux des célestes paroles et les beautés sans prix de l'Écritures, s'il s'enlise dans la boue par ses oeuvres et ses pensées ? Ne semble-t-il pas alors fouiller une terre immonde, y mettre en pièces ses trésors et les souiller dans le bourbier fangeux de ses passions impures ? La science est parure à qui en use bien. Mais que le sort est différent de ceux qui la profanent de cette sorte ! Dans leur fange, qu'elle fait encore plus profonde, elle se couvre d'éclaboussures à son tour.

«La louange n'est point belle, qui vient de la bouche du pécheur. » (Ec 15,9). Et Dieu lui dit par le prophète : «Pourquoi racontes-tu mes préceptes et as-tu mon alliance à la bouche ? » On lit encore dans les Proverbes ce mot vraiment topique sur les âmes qui ne possèdent pas d'une façon stable la crainte du Seigneur &emdash; dont il est dit : «La crainte du Seigneur est science et sagesse » (Pro 15,33), et qui s'efforcent néanmoins, par une méditation continuelle, de pénétrer le sens des Écritures : «Que sert à l'insensé d'avoir la richesse ? L'homme sans intelligence ne pourra acheter la sagesse. » (Pro 17,16).

La science vraie, la science spirituelle est bien éloignée de ce savoir profane que souille la boue des vices charnels : tellement, qu'on l'a vu fleurir merveilleusement chez des hommes qui n'avaient aucun don de parole et à peu près illettrés. C'est ce que l'on constate avec la dernière évidence pour les apôtres et nombre de saints. Ils ne ressemblaient guère à ces arbres qu'une végétation luxuriante couvre de feuilles inutiles; mais ils ployaient sous les fruits véritables de la science spirituelle; et d'eux il est écrit dans les Actes des apôtres : «Lorsqu'ils virent la constance de Pierre et de Jean, et qu'ils surent que c'étaient des hommes sans lettres et de petite condition, ils furent dans l'étonnement. » (Ac 4,13

Si donc vous avez à coeur de respirer cet incorruptible parfum, travaillez de toutes vos forces à obtenir du Seigneur l'immaculée chasteté; car personne ne possède la science spirituelle, tant qu'il se laisse dominer par les désirs des passions charnelles, et surtout de l'impureté : «C'est dans le coeur qui est bon que la sagesse habite, » (Pro 14,33) et «celui qui craint le Seigneur trouvera la science avec la justice. » (Ec 32,20).

Le bienheureux Apôtre aussi nous enseigne, pour parvenir à la science, l'ordre que nous avons dit. Voulant un jour dresser la liste complète de ses vertus, et tout à la fois en expliquer la suite, c'est-à-dire marquer l'origine et la descendance de chacune d'elles, il ajoute après quelques mots : «Dans les veilles et les jeûnes, par la chasteté, par la science, par la longanimité, par la bonté, par l'Esprit saint, par une charité sincère. » (2 Cor 6,5-6). Cette manière de rattacher l'une à l'autre les vertus, prétend évidemment nous apprendre que l'on va des veilles et des jeûnes à la chasteté, de la chasteté à la science, de la science à la longanimité, de la longanimité à la bonté, de la bonté à l'Esprit saint, de l'Esprit saint à la récompense d'une charité sincère.

Lorsque, dociles à cette discipline et à suivre cet ordre, vous serez parvenus, vous aussi, à la science spirituelle, votre savoir, je vous le certifie, ne sera pas stérile et vain, mais plein de vie et fertile en fruits. Vous confierez la semence de la parole du salut au coeur de vos auditeurs, et la rosée très abondante de l'Esprit saint viendra aussitôt la féconder. Selon la promesse du prophète, «la pluie sera donnée à votre semence, partout où vous aurez semé dans la terre; et le pain que vous donneront les fruits de la terre, sera abondant et substantiel. » (Is 30,23).

 

CHAPITRE 17

 

À qui l'on doit révéler la vie parfaite.

Il viendra donc un jour où, moins par la lecture que par une laborieuse expérience, vous posséderez la doctrine; et votre âge plus avancé vous mettra en situation d'enseigner les autres. Gardez-vous alors, vous laissant séduire à la vaine gloire, de prodiguer au hasard votre savoir à des âmes qui ne seraient point pures. Vous tomberiez dans le travers que proscrit le sage Salomon : «Ne conduis pas l'impie dans les pâturages du juste, et ne te laisse pas séduire par la satiété. » (Pro 24,15).

C'est que «les délices ne profitent pas à l'insensé, » (Ibid. 19,10) et il n'est pas besoin de sagesse où l'intelligence fait défaut : on y prise davantage la folie. » (Ibid. 18,2). En effet, «le serviteur obstiné ne s'amende pas par des paroles; même s'il comprend, il n'obéira pas. » (Ibid. 29,19). Il est écrit de même : «Ne dis rien à l'oreille de l'insensé, de peur qu'il ne tourne en dérision la sagesse de tes discours; » (Ibid. 23,9) et : «Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens; ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se tournant contre vous, ils ne vous déchirent. » (Mt 7,6).

Ainsi, il vous faut cacher aux hommes de cette sorte les mystères des sens spirituels, de manière que vous puissiez chanter en toute vérité : «J'ai tenu vos paroles cachées dans mon coeur, afin de ne pas pécher contre vous. » (Ps 118,11).

Vous me direz peut-être : «À qui donc dispenser les secrets des divines Écritures ? Le sage Salomon vous l'apprend : «Versez l'ivresse à ceux qui sont dans la tristesse, et donnez à boire du vin à ceux qui sont dans la douleur, afin qu'ils oublient leur misère et qu'ils ne se souviennent plus dorénavant de leurs souffrances. » (Pro 31,6-7). C'est-à-dire: À ceux que le regret de leur première vie abat sous le chagrin et la tristesse, versez abondamment la joie de la science spirituelle, comme d'un vin qui réjouit le coeur de l'homme; réchauffez-les, en les enivrant de la parole du salut, de peur que, se laissant submerger par la continuité de leur chagrin et un mortel désespoir, «ils ne soient absorbés dans une excessive tristesse. » (2 Cor 2,7). Mais pour ceux qui vivent dans la tiédeur et la négligence, sans éprouver dans leur coeur le plus léger remords, voici comme il en est parlé : «Celui qui vit dans les douceurs et sans souffrance, sera dans le dénuement. » (Pro 14,23).

Évitez donc de toute votre puissance de vous faire prendre à l'amour de la vaine gloire, de peur que vous ne puissiez avoir de part avec celui que le prophète loue de ce qu' «il n'a point prêté son argent à intérêt. » (Ps 14,15). Il est dit, en effet, que «les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, un argent éprouvé par le feu, purifié au creuset, raffiné sept fois. » (Ps 11,7). Quiconque les dispense par amour de la gloire humaine, donne son argent à intérêt. Mais, ce faisant, au lieu de mériter des louanges,il gagnera des supplices. Car il a préféré dissiper l'argent de son maître, pour en retirer lui-même un avantage temporel; plutôt que de le placer de manière que le Seigneur «à son retour, retirât avec un intérêt celui lui appartient ». (Mt 25,27).

 

CHAPITRE 18

 

Des causes qui rendent infructueuse la doctrine spirituelle.

Deux causes rendent inefficace la doctrine spirituelle.

Ou bien celui qui enseigne n'a pas expérimenté ce qu'il dit, et tous ses efforts pour, instruire l'auditeur ne sont qu'un vain bruit de paroles.

Ou bien c'est l'auditeur qui est mauvais et rempli de vices; et son coeur endurci demeure fermé à la salutaire et sainte doctrine de l'homme spirituel. De ceux qui lui ressemblent, Dieu dit par le prophète : «Le coeur de ce peuple a été aveuglé, et il est devenu dur d'oreille, et il s'est bouché les yeux, de peur qu'ils ne voient de leurs yeux et n'entendent de leurs oreilles, et que leur coeur ne comprenne, et qu'ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse. » (Is 6,10).

 

CHAPITRE 19

Que la grâce des saints discours est accordée parfois même à des indignes.

Mais la Providence surnaturelle de Dieu, qui «veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connaissance de la vérité, » (1 Tim 2,4) permet quelquefois, dans sa libéralité magnifique, que celui qui ne s'était pas rendu digne de prêcher l'Évangile par une vie irrépréhensible, obtienne néanmoins la grâce de la science spirituelle pour le salut de beaucoup.

Ceci nous conduit à expliquer dans un nouvel entretien les diverses manières dont le Seigneur accorde le charisme des guérisons, pour expulser les démons. Mais il est temps de nous lever et d'aller prendre notre repas. Nous réserverons pour ce soir l'examen de cette question. L'intelligence saisit toujours mieux ce qu'on lui présente peu à peu et sans fatigue excessive pour le corps.

SAINT JEAN CASSIEN - IV-V S

" Collationes patrum in Scithico eremo commorantium" ("De la science spirituelle" chap. 9 à 19)

 

 

Celui qui regarde en arrière est inutilisable pour le Royaume