Un texte de SAINT JEAN CHRYSOSTOME

 

1) VIE

Jean Chrysostome est né vers 349, à Antioche. très tôt, Jean étudia la rhétorique à l'école de Libanius, un païen, mais le plus illustre rhéteur de son époque.
A partir de 367, il s'intègre au groupe des disciples de Diodore, futur évêque de Tarse, pour s'adonner à l'étude des sciences sacrées. Il fut baptisé par saint Mélèce pendant la nuit pascale de 367. Proposé au sacerdoce, il refuse dans un premier temps et se retire en 372 au désert et vit pendant quatre ans auprès d'un ancien. Puis il se retire, seul, dans une grotte, où il passe la plupart de son temps sans dormir, apprenant par cœur les Ecritures.
En 381, saint Mélèce l'ordonne diacre, puis, en 386, son successeur Flavien lui confère le sacerdoce. Le ministère principal de Jean devient la prédication. Il dira: «La parole, voilà l'instrument du médecin des âmes. ...A nous de travailler avec acharnement pour nous enrichir de la parole du Christ... Le prêtre doit tout faire pour acquérir le talent de la parole.»
La renommée de Jean s'étendit bien au-delà d'Antioche. A la mort de Nectaire, évêque de Constantinople, Jean fut sacré à sa place d'une façon un peu rocambolesque, évêque de Constantinople, le 15 décembre 397.
Il s'attaqua à tous les désordres qu'il constatait, Cela lui valut un grand attachement de nombreux fidèles mais aussi l'inimitié dans le clergé et à la cour.
Ces oppositions, en particulier celles de quelques évêques, lui valurent un premier exil. Puis les oppositions se feront encore plus violentes au point qu'il sera condamné à un deuxième exil. C'est en se rendant vers le lieu de son exil, que, accablé de mauvais traitements, il mourut à Comane, dans le Pont, le 14 septembre 407. Ses dernières paroles furent : «Gloire à Dieu pour tout. Amen.»

2) OEUVRES

Aucun Père n'a laissé un héritage littéraire aussi important en volume que Chrysostome... Ses principaux écrits sont des oeuvres exégétiques. La majeure partie de l'oeuvre de saint Jean Chrysostome est constituée d'homélies.
Nous possédons de lui des Homélies sur la Genèse, sur 58 psaumes, sur le prophète Isaïe, sur les évangiles de Matthieu et de Jean, sur les épîtres de saint Paul. (Trente deux homélies sur l'épître aux Romains !)
On possède de lui aussi des oeuvres doctrinales, des réfutations d'hérésies (surtout l'arianisme), des catéchèses sur le baptême, sur la Trinité.
Il a également composé des écrits sur la vie monastique et diverses homélies sur les fêtes liturgiques.
Dans son exil, il a entretenu des correspondances . Nous possédons 236 lettres de Jean, qui traitent des thèmes du sens de la souffrance, de la foi en la Providence, de la patience dans l'épreuve.

3) DOCTRINE

On a dit de lui qu'il était plus moraliste que théologien. Mais Jean était avant tout un pasteur et un prédicateur, dont l'enseignement était inséparablement théologique, moral et spirituel. Son enseignement montre une adhésion sans faille à la tradition dogmatique de l'Eglise. Il prêche par l'exemple, une vie entièrement vouée à l'ascèse et à la prière.
C'est ainsi qu'il se montre vraiment un «Père de l'Eglise» dans toute la force du terme. Il n'enseigne pas ses opinions personnelles, mais transmet le dépôt de la foi dans toute son intégrité.

 

Celui qui regarde en arrière est inutilisable pour le Royaume

Pourquoi apprendre la Parole ......

      C'est pourquoi je vous conjure de faire croître cette semence, puisque ce soin vous produira de grands biens pour le salut de vos âmes. Ce saint exercice vous rendra agréables à Jésus-Christ, et en méditant les paroles sorties de sa bouche, vous apprendrez à purifier la vôtre de toutes les paroles déshonnêtes et injurieuses.Nous deviendrons ainsi terribles aux démons lorsqu'ils verront notre langue armée de ces paroles de feu: nous nous attirerons une plus grande grâce de Dieu, et cette lecture assidue rendra les yeux de notre coeur plus vifs et plus éclairés.

      Dieu nous a donné des yeux, une bouche et des oreilles, afin que nous les consacrions à son service, afin que nous ne parlions que de lui, que nous n'agissions que pour lui, que nous ne chantions que ses louanges, que nous lui rendions de continuelles actions de grâces, et que par ces saints exercices nous purifiions le fond de nos coeurs. Car, comme la pureté de l'air rend le corps sain, ainsi la sainteté de ces occupations rend l'âme plus sainte et plus pure.

      Ne voyez-vous pas que les yeux nous pleurent dans un lieu plein de fumée, et qu'aussitôt que nous passons au grand air, que nous considérons la beauté des campagnes, les fleurs des prés et les eaux courantes, ils reprennent leur première vigueur? Il en est ainsi de l'oeil de l'âme. S'il se plaît dans les Ecritures comme dans un pré spirituel, il deviendra plus sain, plus pur, et plus pénétrant; mais s'il se laisse obscurcir par la fumée des choses du siècle, il se trouvera réduit à pleurer et en ce monde et en l'autre. Car tout ce qui est en ce monde est semblable à la fumée; ce qui fait dire à David: « Mes jours se sont évanouis comme la fumée.» (Ps.101,12.) Il l'entendait de la brièveté et de l'instabilité de la vie; mais je crois qu'on peut dire encore que les choses du monde nous aveuglent comme la fumée; et qu'elles nous enveloppent par des liens semblables aux toiles d'araignées.

      Car il n'y a rien qui blesse et qui trouble plus les yeux de l'âme que cet embarras des soins et des affaires du monde, et cette multiplicité de désirs et de passions, qui sont comme le bois qui produit ensuite cette fumée. Et comme le feu fume beaucoup lorsqu'il s'attache à une matière humide; ainsi lorsqu'un désir ardent entre dans une âme qui est comme humide par son relâchement et par sa paresse, il faut nécessairement qu'il y excite une effroyable fumée. C'est pourquoi nous avons besoin de la rosée du Saint-Esprit, et de ce souffle bienheureux, afin d'éteindre ce feu des passions, de dissiper cette fumée, et de rendre notre coeur plus libre et plus dégagé. Car il est impossible qu'une âme appesantie de tant de soins puisse s'élever en haut pour voler au ciel. Nous devons nous dégager de tout, pour pouvoir courir dans la voie de Dieu. Et nous ne le pourrons faire à moins que d'être soulevés sur les ailes du Saint-Esprit.

      S'il faut donc que notre âme soit non seulement déchargée des soins du siècle, mais qu'elle soit encore soutenue de la grâce de Dieu pour nous élever en-haut, comment le pourrons-nous faire, puisque, bien loin d'avoir cette disposition, nous nous engageons tous les jours dans une autre toute contraire, et qu'au lieu de voler au ciel, nous nous laissons charger de ce poids insupportable, dont le démon nous accable, et par lequel il nous entraîne toujours en bas? Car si on voulait peser tous nos discours dans une juste balance, je ne crois pas que, pour mille talents qu'on trouverait d'entretiens tout séculiers, on pût trouver je ne dis pas pour cent deniers, mais pour dix oboles de paroles vraiment chrétiennes et spirituelles.

      N'est-ce pas une chose honteuse et ridicule, tandis que nous ne nous servons de nos domestiques, quand nous en avons, que pour des affaires qui sont pour la plupart nécessaires, d'employer notre bouche à des choses où nous rougirions d'employer le dernier de nos serviteurs, c'est-à-dire, toutes vaines et superflues? Et plût à Dieu même qu'elles ne fussent que superflues, et non mauvaises et dangereuses! Si nos paroles nous étaient utiles, il est certain qu'elles seraient aussi agréables à Dieu; mais nous disons au contraire tout ce que le démon nous inspire: des railleries et des bons mots, des imprécations et des injures, des jurements, des mensonges, des parjures; des cris de colère et des futilités , des contes de vieilles femmes, des questions oiseuses et sans intérêt, voilà ce qui sort continuellement de notre bouche.

      Quel est celui de vous tous qui m'écoutez maintenant, qui pourrait me dire par coeur ou un psaume ou quelque autre partie de l'Ecriture, si je le lui demandais? Il ne s'en trouverait pas un seul. Et ce qui est encore plus à déplorer, c'est que, étant si indifférents pour les choses saintes, vous êtes tout de feu pour les choses du diable. Car si l'on vous priait au contraire de dire quelqu'une de ces chansons infâmes, quelques-uns de ces vers lascifs et honteux, il s'en trouverait plusieurs qui les auraient appris avec soin, et qui les réciteraient avec plaisir.

      Mais comment excuse-t-on de si grands excès? Je ne suis pas religieux ni solitaire, dit-on, j'ai une femme et des enfants, et j'ai le soin d'un ménage. Telle est en effet la grande plaie de notre temps, on croit que la lecture de l'Ecriture n'est bonne que pour les religieux, au lieu que les gens du monde en ont encore plus besoin qu'eux. Car ceux qui sont au milieu du combat, et qui reçoivent tous les jours de nouvelles plaies, ont plus besoin de remèdes que les autres. C'est un grand mal de ne pas lire les livres qui contiennent la parole de Dieu, mais il y a quelque chose de pire encore, c'est de se persuader que cette lecture est inutile. Une telle pensée ne peut venir que du démon.
      N'entendez-vous point ce que dit saint Paul: « Que tout ce qui est écrit, est écrit pour notre instruction? » (Rom. 15, 4.) Si l'on voulait vous faire toucher l'Evangile avec des mains malpropres, vous ne voudriez jamais le faire, et cependant vous ne croyez pas qu'il soit nécessaire de savoir ce qu'il enseigne. C'est là la cause du dérèglement général que l'on voit aujourd'hui parmi les hommes.

      Si vous voulez éprouver combien la lecture de l'Ecriture sainte est utile, examinez-vous vous-mêmes. Voyez dans quelle disposition vous êtes , ou lorsque vous écoutez des psaumes, ou lorsque vous entendez ces chansons diaboliques ; lorsque vous êtes à l'église, ou lorsque vous êtes au théâtre; et vous serez surpris de voir combien votre âme étant la même, est néanmoins différente d'elle-même dans ces rencontres. C'est pourquoi saint Paul disait : « Les mauvais entretiens corrompent « les bonnes moeurs. » (1 Cor. 15, 33.) Nous avons continuellement besoin des cantiques du Saint-Esprit. Chanter les louanges de Dieu est le plus beau privilège de l'homme, rien ne le distingue autant des bêtes qui ont cependant sur lui de nombreux avantages. C'est là, la nourriture de l'âme ; c'est là son ornement; c'est là son assurance ; au contraire la négligence de la parole de Dieu lui cause la faim et la mort: « Je leur enverrai, dit Dieu, non la famine du pain ni la soif de l'eau, mais la famine de la parole de Dieu. » (Amos,8,11.)

      Qu'y a-t-il de plus déplorable que d'attirer volontairement sur vous un malheur dont Dieu menace les hommes comme d'un très grand supplice, et de réduire vous-même votre âme à une faim cruelle qui la met dans une extrême langueur? Car c'est par la parole que l'âme se perd ou qu'elle se sauve. Un mot l'enflamme de colère, et un mot l'apaise; une parole déshonnête la jette dans une passion brutale, et une parole modeste et grave la rend chaste et pure. Si donc la parole d'un homme produit de si grands effets, comment pouvez-vous mépriser la parole de Dieu même? Et si l'exhortation d'un homme est si puissante, combien celle de l'Esprit-Saint le sera-t-elle davantage?

      Une parole de l'Ecriture excite souvent dans l'âme une flamme plus vive que le feu, et la rend capable des actions les plus belles. C'est ainsi qu'autrefois saint Paul abaissa l'orgueil des Corinthiens, qui se glorifiaient d'une chose dont ils eussent dû rougir, et qu'ils devaient étouffer dans un éternel silence. Mais lorsque cet apôtre leur eût écrit, voyez quel changement ses paroles firent en eux, comme il leur en rend témoignage lui-même: « Voyez, en effet » dit-il, « ce qu'a produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie: quelle sollicitude, quel soin de vous justifier, quelle indignation, quelle crainte, quel désir, quel zèle, quelle ardeur pour punir le crime ! » 2Cor. 7, 11.).

      C'est ainsi que vous réglerez vos serviteurs, vos enfants, vos femmes et vos amis, et que vous forcerez vos ennemis mêmes à vous aimer. C'est par ces paroles saintes, que tant de grands hommes si chéris de Dieu, se sont avancés dans la vertu. David après son péché écouta la parole du Prophète, et il embrassa aussitôt cette pénitence, qui est devenue le modèle de tous les pénitents. C'est par ces paroles saintes, que les apôtres sont devenus ce qu'ils ont été, et qu'ils ont attiré à eux toute la terre.

      Mais que sert, dites-vous, d'entendre la parole de Dieu, lorsqu'on ne la pratique pas? On ne laisse pas d'en retirer même alors une utilité très considérable. Car on s'accusera soi-même, on soupirera, on gémira, et on se mettra enfin en état de faire ce qu'on nous apprend. Mais lorsqu'on ne comprend pas même le mal qu'on fait, comment peut-on s'en retirer ou s'en repentir?

      Ne négligeons donc point d'entendre l'Ecriture sainte. C'est le démon qui nous inspire ce dégoût, parce qu'il ne peut souffrir que nous approchions de ce trésor, de peur qu'il ne nous en demeure des perles et des diamants qui nous enrichissent. C'est pourquoi il nous persuade qu'il nous est inutile d'entendre la parole de Dieu, afin qu'il n'ait pas le regret de nous la voir mettre en pratique après que nous l'aurons entendue. Reconnaissons donc cet artifice si dangereux, et fortifions-nous de toutes parts contre ces attaques; afin que couverts de cette armure spirituelle, nous soyons invulnérables à notre ennemi, et que l'ayant vaincu et portant les marques de notre victoire, nous jouissions à jamais des biens du ciel, par la grâce et par la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

SAINT JEAN CHRYSOSTOME - IV° S
" Homélie 2 sur Matthieu