ÉCOUTER LA PAROLE

 

Conférence de Bernard FRINKING Décembre 1997

 

 

Nous avons déjà fait paraître un article sur le sujet de la lecture en quatre niveaux. Il nous est apparu intéressant de revenir sur ce thème avec un enseignement de Bernard. On pourra se reporter à la fiche à télécharger, dans les articles déjà parus

 

Quatre niveaux de lecture

 

Nous lisons le texte à plusieurs niveaux. En général, je propose d'utiliser pour une réflexion sur les niveaux de lecture de procéder selon la pédagogie d'Israël, des juifs.



Sens littéral


Le premier niveau de lecture des textes, c'est le sens littéral. Ce sens littéral implique que je prenne conscience notamment de la nature, de la signification, aussi du concret des gestes qui sont énoncés. Autrement dit, souvent, je suis invité à faire attention à certains nombres d'éléments de culture du temps, qui ne sont peut-être pas toujours présents à l'esprit, pour que je puisse lire le substrat très concret de ce que le texte veut dire. Mais le sens littéral n'est pas seulement cela. Je commence aussi à comprendre le mouvement de Dieu dans l'événement qui est en train de se produire. Il ne s'agit pas seulement de comprendre l'anecdote à l'extérieur, c'est important pour comprendre les gestes et leurs sens. Mais déjà de voir, même à ce premier niveau, la main de Dieu qui opère toute chose.




Sens allusif

 

Le deuxième niveau de lecture s'appelle une lecture du sens allusif. Le sens littéral est suivi par un autre type de lecture: Je cherche le sens allusif. La question sera: À quoi cela fait-il allusion? Quand je lis par exemple: "elle était couchée, prise de fièvre", je me dis : À quoi la fièvre fait-elle allusion? Quelle est l'histoire de la fièvre?

Autrement dit, je serai amené à chercher dans l'Ancien Testament quand cette expression, (cette formule) apparaît, dans quel contexte, et ce qu'elle veut dire dans le contexte. Sinon, je ne peux pas lire le texte au sens allusif. Le sens allusif suppose que je sois au courant de l'histoire, que j'aie approfondi la langue biblique. Vous savez comme moi qu'une langue est le produit, le fruit d'une histoire, l'histoire d'un peuple, la cristallisation d'une sagesse acquise au cours du temps. Tout cela, la langue le contient. Et pour que je puisse donc lire un texte, et ici un texte qui nous a été transmis depuis 2000 ans, il faut que je connaisse l'histoire. D'où sort cette langue? Quelle est l'histoire qui a procédé à la formation de la langue? Si je ne le connais pas, je ne peux pas lire le texte. C'est très important.

Sens sollicité



Il y a un troisième niveau de lecture qu'on peut appeler le sens sollicité. Je vais solliciter le texte pour ce qu'il ne dit pas. Comment je peux solliciter un texte pour ce qu'il ne dit pas? C'est très dangereux si on n'est pas guidé. Il faut dire que nous lisons le texte dans un contexte et ce contexte est double.
C'est d'abord le contexte de la tradition orale mais la vraie tradition orale, c'est dans l'Église. L'Église est le lieu même de la tradition orale. Et donc nous lisons le texte à l'intérieur de l'Église, de la manière qu'elle l'a toujours lu. Nous n'allons pas nous évanouir dans les espaces de notre raison et en sortir du texte des éléments que nous aimerions bien y projeter. Non. Ce n'est pas cela la lecture du sens sollicité.

Le sens sollicité veut dire que nous ayons d'abord investi du temps dans le texte et que nous commencions à nous poser des questions parce que nous avons commencé à comprendre et à saisir qu'un texte ne dit pas tout ouvertement, que certaines choses apparemment sont cachées sous le texte et qu'on ne les dit pas au premier venu. C'est que le texte, en effet, demande à être interrogé.
Mais cela ne suffit pas, il faut encore que l'on ait les outils pour pouvoir lire ce que le texte ne dit pas ouvertement. C'est l'apprentissage de la lecture des silences du texte.
Je pense que nous aurons l'occasion de donner des exemples. C'est aussi un présupposé. Nous savons que le texte contient des silences.
Par exemple, on est averti dès la première phrase quand l'Evangile dit: "comme il est écrit dans Yesha`yâhou le prophète: voici j'envoie mon messager devant ta face..." Et quand on regarde le texte de plus près, on se rend compte qu'il y a deux autres prophètes qui se profilent, qui se cachent derrière Isaïe et dont on ne parle pas. Et on est averti dès le départ que les choses sont cachées. Cela veut dire que nous sommes invités dès le départ à faire attention à ce qui se profile derrière. C'est que tout n'est pas dit ouvertement.
Un autre exemple: on va énoncer au Chapitre 4, une histoire qui apparaît un peu simple, c'est la comparaison de celui qui sème. Vous avez tous cette parabole en tête. Dans cette comparaison, vous ne trouverez pas cela dans votre traduction. Il n'est pas dit: "le semeur est sorti pour semer et la semence tombe au bord de la route". Il est dit: "Celui qui sème est sorti pour semer et il en tombe au bord de la route".
Autrement dit les mots de "semeur" et de "semence" sont soigneusement évités par St Marc tout au long de son récit. Il ne les utilise jamais. Dans cette comparaison, on va se poser la question: "Pourquoi ne les utilise-t-on pas?" et pourquoi pas, d'autant plus que nos traducteurs ont traduit allègrement ces deux mots dans le texte. Or, ils ne se trouvent pas. Cela veut dire que si vous n'avez que la traduction habituelle, vous ne pourrez pas le remarquer.
Et pourquoi ne le dit-on pas ? C'est pour que nous puissions commencer par dresser nos oreilles et nous poser justement cette question et entendre que Celui qui sème se sème lui-même.
Celui qui sème, c'est le Christ qui s'est semé lui-même et qui se cache derrière cette histoire. C'est le Christ caché que le texte veut nous révéler, mais sous des voiles. C'est pour cela que le Seigneur dira plus tard: "à vous est donné le mysterium du Règne mais à ceux-là qui sont dehors, tout advient en comparaisons"
"Afin qu'en regardant, ils regardent et ne voient pas, et en écoutant, ils écoutent et ne comprennent pas de peur qu'ils ne se retournent et qu'il ne leur soit-fait-rémission."
Troisième niveau de lecture c'est la lecture de ce qui n'est pas dit ouvertement, la lecture des silences du texte, celle que nos anciens ont faite. Il faut dire que ce type de lecture, on ne le fait plus jamais.
Mais vous, vous chantez et chantez et chantez le texte et vous vous dites: "Mais il ne dit pas tout finalement!" Il y a des choses qu'il ne dit pas maintenant. Il y a des questions que je me pose et auxquelles il ne répond pas, apparemment.
C'est comme l'espace dans lequel nous sommes. Nous sommes ici dans une pièce qui est formée par les murs qui nous entourent. S'il n'y avait pas les murs, nous serions dehors et dans le froid.
Mais ces murs qui nous entourent et les fenêtres qui sont là, les ouvertures, les portes, donnent un certain caractère à cette pièce. C'est très différent à tout autre espace et la maison où chacun habite.
Le texte de l'Évangile est comparable à ces éléments pleins qui nous entourent. Mais, entre ces éléments, il y a un espace et celui-ci est parfaitement configuré par tous ces éléments.
Alors, les paroles de l'Évangile sont comme les pleins et qui elles aussi contiennent un espace. Et c'est dans le silence du texte que les choses les plus importantes sont dites.
Il y a donc des choses qui sont dites ouvertement et qui configurent ce qui ne l'est pas. Et ce silence du texte, qui est caché au-dedans, nos Pères anciens le lisaient. Ils le lisaient avec beaucoup de retenue. Dans leurs écrits, ils y font allusion. Ils ne disent pas plus. Parce que eux aussi savaient très bien qu'il ne faut pas dire toute chose ouvertement.
Le Seigneur donc, au moins en cette première partie de l'Évangile, ne parle pas ouvertement. Ce n'est que dans le deuxième versant de l'Evangile qu'Il va parler très ouvertement. Et pourquoi?
Par miséricorde pour les humains car quand on ne sait pas, on n'est pas responsable de ce qu'on ne sait pas. Quand on a entendu une parole, on est responsable de ce qu'on a entendu; il faut l'accomplir.
L'énoncé de l'Évangile, c'est comme une semence qui tombe dans la terre et que fait cette semence? Elle va peut-être pousser. Elle ne va peut-être pas pousser du tout. Elle va peut-être avorter. Elle va peut-être porter beaucoup de fruits.
Autrement dit, la semence va révéler la nature du sol dans lequel elle tombe. Aussitôt que l'Evangile est énoncé, il y a une prise de position de notre côté. Elle va révéler l'accueil ou le rejet qui est dans le cœur de l'homme. Elle va montrer qui est cet homme.
Autrement dit, une situation de choix, c'est grave. Jésus parle d'une façon extrêmement prudente. Il ne veut pas manipuler l'homme. Il ne veut pas lui mettre les yeux devant le trou en disant "regarde". Il dit les choses comme en passant; si tu as compris, tant mieux pour toi, tu suis.
Si tu n'as pas compris, peut-être ton heure viendra où tu comprendras. C'est par miséricorde d'amour que Dieu a pour moi. Il ne force pas. Il ne nous traîne pas derrière lui. Il attend notre heure... à nous de poser des questions. Et cette heure où nous allons nous poser des questions est précédée par le désir de nous investir dans sa parole; de prendre son temps pour y entrer.
Et vous savez, le temps nous a été donné pour ça.

Le sens secret, le mystère



Le quatrième niveau. C'est ce qu'on appelle en hébreu le sens secret, le mystère. Le sens secret, ce n'est pas une fuite dans la stratosphère des conceptions un peu éthérées. Le sens secret, c'est ce qui est de plus concret.
Quand l'homme saisit tout d'un coup comment Dieu l'appelle, ce qu'Il est.
Alors la Parole devient révélation. C'est la présence de l'Esprit Saint dans le cœur de l'homme qui le révèle, d'une façon indicible.
Ce qui est au-delà de toutes les paroles créées qui sont dans le monde.
Tout d'un coup, l'homme tombe dans un autre espace, dans une rencontre, un vis-à-vis avec Dieu... l'Esprit Saint qui introduit le Royaume dans le cœur de l'homme.
Tout cela, c'est au-delà des paroles, c'est au-delà de ce que nous appelons la Parole de Dieu en parlant de ce livre dans lequel se trouvent ces mots.

C'est plus concret que concret; c'est l'ultime concret.

 

J'ai énoncé quatre niveaux.



Cela veut dire que, dans notre écoute de la Parole, nous commençons par le premier, puis le deuxième, puis éventuellement le troisième. Le quatrième est réservé à l'expérience personnelle....