Ce texte est extrait du livre "La Vie de Marie Mère de Jésus"
du chanoine Fr - M. Willam
Éditions Casterman - 1938.



À propos du vêtement.......

"LE COSTUME DANS LA VIE DES FEMMES"
  

Quand on cherche à se représenter l'aspect extérieur de Marie, on se laisse consciemment ou inconsciemment influencer par les différentes images que l'on a pu voir un jour ou l'autre. On imagine presque toujours Marie portant un voile qui ressemble à peu près à celui que portent aujourd'hui encore beaucoup de femmes en Orient. Ce voile apparaît aussi comme un signe distinctif sur un très grand nombre de statues de Marie. C'est donc de lui qu'il nous faut d'abord parler.
De la lecture des écrits bibliques et extrabibliques il ressort avec certitude que les femmes ne paraissaient en public que « couvertes », c'est-à-dire la tête enveloppée. Mais en quoi consistait cette coiffure ou ce voile? C'est ce qui n'apparaît pas clairement. Si l'on voulait désigner la coiffure portée alors par les femmes de Palestine en la comparant à celles que nous connaissons, on pourrait peut- être dire qu'elles portaient toujours un voile tombant à l'arrière et aussi, dans certains cas déterminés, une sorte de bonnet. Au cours des temps, l'usage s'est vraisemblable- ment établi de réunir en une seule coiffure deux pièces jusqu'alors distinctes, le bonnet et le voile. C'est un fait que l'on constate fréquemment dans l'histoire du costume féminin. Le bonnet et aussi spécialement les cheveux, que l'on disposait en tresses ou nattes, s'ornaient volontiers de petites plaques, de barettes, d'anneaux et d'étoiles qui, selon les moyens de chacune, étaient en cuivre, en argent, en verre ou en or. Toutes les femmes, même les femmes pauvres, portaient une parure. Peut-être consacraient-elles déjà, comme c'est encore maintenant la coutume, les revenus de leur dot, qui étaient leur propriété personnelle, à la parure de leur tête. Le nombre et la valeur des ornements dépendaient naturellement des moyens de chacune.
Un ornement qui plaisait particulièrement aux femmes était la « ville d'or », consistant en un bandeau ou une cou- ronne où était gravée l'image de la ville de Jérusalem. Les hommes attentionnés rapportaient en souvenir à leurs épouses et à leurs filles, de leurs pèlerinages à Jérusalem, des couronnes de ce genre. L'industrie des souvenirs consti- tuait pour le lieu de pèlerinage qu'était Jérusalem une excel- lente source de revenus; l'habitude voulait même que l'on achetât toute sorte d'objets au cours des pèlerinages.
La coutume de paraître en public la tête couverte était particulièrement stricte pour les femmes mariées. Si une femme, s'affranchissant de cette loi des convenances, se présentait en public la tête découverte, on considérait son geste comme un déshonneur personnel pour la femme elle-même et comme un outrage infligé par elle à son époux. A l'époque qui précéda le Christ, cette question avait une importance juridique, car, si le cas se présentait, l'époux avait par là-même le droit de renvoyer sa femme.
En s'appuyant sur ce principe, les docteurs se demandent si une femme a la tête couverte quand elle porte sa corbeille à filer, nous dirions aujourd'hui sa « corbeille à ouvrage » sur la tête. Certains affirmaient que c'était suffisant pour séjourner dans la cour; d'autres le niaient. Le cas n'est pas aussi étrange que cela nous paraît. Des femmes qui transportaient une cruche sur leur tête pouvaient de la même façon poser et porter sur leur tête leur corbeille à ouvrage. Cette coutume de paraître en public avec un voile fut plus tard érigée en loi par saint Paul pour les femmes chrétiennes. Elles devaient se présenter en publie avec « une puissance sur la tête », c'est-à-dire avec un signe faisant savoir qu'elles étaient sous l'autorité et aussi sous la protection d'un époux qui répondait pour elles.
Il semble que, outre cette habitude de se couvrir la tête d'un voile, une autre mode s'était déjà introduite en ce temps-là, consistant pour les femmes à tirer le voile devant leur visage de telle sorte qu'on ne pouvait à peu près pas les reconnaître. Cette coutume pouvait donner lieu à des situations tragiques comme celle-ci : un grand'prêtre devait juger une femme qui était accusée d'adultère. Lorsque l'on retira son voile à l'accusée, il reconnut avec effroi en celle qui se tenait devant lui sa propre mère. Si cette mode, qui devait amener plus tard, dans la civilisation islamique, les femmes à se voiler complètement, comme on le sait, le visage, existait déjà au temps de Jésus, il ne pouvait être question que des grandes villes, comme Jérusalem, la capitale, et Jéricho, la station hivernale, mais non des petites localités comme Nazareth. Dans la campagne, pour des raisons de commodité, l'usage de se voiler le visage n'a jamais été général chez les femmes astreintes au travail. On peut donc supposer que Marie portait un voile sur la tête, comme le font encore aujourd'hui les femmes en Orient.
Pour le reste, les femmes portaient, comme les hommes, un vêtement de dessous et un vêtement de dessus; la différence essentielle consistait en ce que les femmes employaient de préférence des étoffes plus fines et de plusieurs couleurs et que leurs vêtements étaient ornés de galons et de broderies. De plus, les convenances exigeaient que les femmes portassent une robe descendant jusqu'aux chevilles. Le vêtement était maintenu par une ceinture. Les hommes du peuple portaient, pour des raisons de commodité, la robe courte; seuls les gens riches et cultivés paraissaient en public avec les longs vêtements de cérémonie.
Étant donné le climat chaud du pays, les chaussures consistaient la plupart du temps en sandales qui avaient des semelles de bois ou de cuir tanné. Pour leur donner bon aspect, on les nettoyait et on les enduisait d'un ingrédient noir ou de vitriol. Les sandales et chaussures que l'on ne portait pas étaient suspendues à une cheville ou rangées à plat l'une à côté de J'autre. Chez les gens du peuple, elles demeuraient sans emploi la plus grande partie de l'année, car, à la maison, les hommes et surtout les femmes et les enfants marchaient nu-pieds. Beaucoup n'utilisaient les chaussures que pour se rendre à l'office du sabbat et pendant les grands pèlerinages. Joseph et Marie étaient tenus eux aussi de faire des économies et se conformaient, par con- séquent, à l'usage général.
Aux femmes qui s'en tenaient au simple costume du pays s'opposaient celles qui suivaient la mode. Les particularités de la mode consistaient en nouveaux usages importés de Grèce et d'Italie qui se mêlaient aux anciennes habitudes orientales.
En ce qui concerne les soins de la chevelure, on disposait de divers procédés qui sont encore employés aujourd'hui : teintures pour les cheveux, usage de faux cheveux, divers arrangements artificiels des tresses. La différence qui existe entre les usages du temps et les nôtres, c'est qu'il était inconvenant pour une femme d'aller chez un coiffeur du sexe masculin; les femmes devaient donc recourir aux services d'une coiffeuse qui était souvent une intime ou une esclave ou bien les deux à la fois. De là vient aussi que l'on pouvait parler des indiscrétions des coiffeuses. Naturellement peignes et miroirs ne manquaient pas; de même onguents et pommades. Le travail nécessaire pour coiffer une femme était souvent long et compliqué; nous en avons la preuve, entre autres, dans cette expression volontiers usitée : « con- struire une coiffure ».
La mode féminine ajoutait aux vêtements habituels toute sorte d'accessoires et d'ornements destinés seulement à l'embellissement. Dans cet ordre de choses, on connaissait et on aimait déjà les « étoffes ajourées ». Certaines femmes plaçaient dans leurs chaussures un sachet de parfum dont la senteur se dégageait avec les mouvements de la marche. On connaissait également l'usage des semelles de liège pour rehausser la taille.
Les « nouveautés », provenant des villes pourvues de communications nombreuses, se répandaient alors, comme aujourd'hui, dans la campagne. Il est question de colporteurs qui recherchent les contrées rurales, « afin d'attirer plus facilement autour de leurs articles les filles d'Israël ». En général, la vie de la campagne était plus simple et plus austère; il est certain, en particulier, que la plus grande réserve naturelle des ruraux n'exigeait pas que l'on observât aussi strictement la coutume de se voiler le visage.
Ces remarques semblent nous entraîner loin de notre sujet; elles ont cependant leur importance. Le langage édifiant célèbre souvent Marie comme le modèle de toutes les femmes en termes si généraux qu'il ne peut en résulter non plus qu'une impression très générale. Celle-ci amène à s'imaginer la plupart du temps que, à l'époque où vivait la mère de Jésus, la vie des femmes en général et celle de Marie, en particulier, différaient totalement de celle de notre temps. Les recherches faites montrent, au contraire, avec clarté que Marie a vécu dans un monde qui, notamment à cet égard, ne s'éloigne pas du monde actuel et de celui des différents siècles autant qu'on pourrait le croire. Si ce n'est pas faire acte essentiel de piété, c'est cependant faire œuvre utile que de se représenter Marie au moment où un marchand d'onguents venu de Jéricho se tenait à sa porte et lui offrait ses articles avec cette espèce d'insistance que ces gens-là ont coutume de déployer auprès des femmes modestes. Puisque l'on aborde si souvent ces questions de toilette notamment dans des conférences destinées aux femmes, il n'est peut-être pas inutile d'exposer ici un principe clair.
Dans sa première épître, saint Pierre trace le portrait de la femme modèle dans les termes suivants : « Sa parure ne doit pas consister en ce qui paraît à l'extérieur : cheveux frisés, bijoux d'or et vêtements à la mode, mais en ce qui pare intérieurement le cœur d'une créature humaine; cette par-ure impérissable est un esprit doux et patient, parure précieuse aux yeux de Dieu ). On pourrait croire qu'en faisant ce portrait, l'apôtre avait en ue, Marie, la mère de Jésus. En tout cas, jamais femme n'a réalisé plus parfaitement cet idéal que Marie.



(Extrait du livre « La vie de Marie, Mère de Jésus » de Fr M. Willam - ch. 4)